En dépit de la montée en force des BRICs dans les relations internationales et du fait qu'ils jouent un rôle de plus en plus actif, beaucoup d'experts ne croient pas à la capacité de ces pays à former un groupe capable de constituer une alternative à un Occident en crise dans la gestion de la gouvernance globale. Pour ces experts, ce groupe est loin de présenter la cohérence et l'homogénéité nécessaires à la définition d'une vision commune dans les relations internationales. Ainsi, pour beaucoup d'experts, particulièrement dans les pays développés, les BRICs ne constituent au mieux qu'un mariage de convenance entre des pays qui cherchent à peser sur le monde global sans être en mesure d'offrir une alternative ou un projet différent à la marche des affaires du monde. D'ailleurs, Jim O'Neill, l'économiste en chef de la banque new yorkaise Goldam Sachs et qui a inventé ce terme, n'hésite pas à souligner que les BRICs sont un groupe de pression sur les pays développés pour les amener à changer de manière radicale la gestion de l'économie mondiale.
Donc, les rêves de constituer une direction alternative à l'économie globale et que le Sud devienne le pilier de l'ordre global se sont-ils envolés? Les BRICs sont loin de partager cette vision et d'avoir la convergence d'intérêts qui leur permettent de prendre en charge l'avenir de la globalisation et surtout de lui imposer les changements nécessaires afin de la rendre plus équitable et plus ouverte aux intérêts du monde en développement. Il faut dire que les arguments ne manquent pas pour ceux qui soutiennent cette position! D'abord, il faut souligner les questions stratégiques et les experts rappellent le conflit entre la Chine et l'Inde qui remonte à 1962 et les différents frontaliers hérités de cette période ne sont toujours pas réglés. D'autres experts soulignent aussi les rivalités entre la Chine et la Russie qui datent de la guerre froide et qui remontent à la rupture sino-soviétique. Ces rivalités ont persisté et ont continué à nourrir des tensions entres les deux pays. Par ailleurs, depuis quelques années ces pays cherchent à accroître leur aire d'influence dans le monde et notamment en Afrique où les BRICs ont entamé une compétition accrue afin d'attirer les faveurs des pouvoirs en place et surtout de répondre à leurs besoins immenses en matière premières suscités par leur forte croissance.
Les différences entre ces nouvelles puissances ne se limitent pas aux aspects stratégiques et sont également de nature politique. En effet, les experts soulignent que ces pays disposent de régimes politiques différents avec deux démocraties et deux régimes politiques autoritaires. Par ailleurs, trois sont aussi des puissances nucléaires alors que le Brésil qui a abandonné son programme nucléaire dans les années 1980 souhaiterait le relancer de nouveau. Par ailleurs, ces pays ne disposent pas des mêmes intérêts et les BRICs deviennent des BASICs (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) dans la mesure où la Russie appartient au groupe des pays développés dans le cadre de l'accord de Kyoto.
Mais, les divergences et les rivalités sont encore plus marquées dans le domaine économique où la montée en puissance de la Chine n'est pas sans soulever critiques et attaques. La place commerciale et économique de la Chine a beaucoup augmenté en Amérique Latine, détrônant les Etats-Unis pour devenir le premier partenaire commercial du Brésil. Les exportations du Brésil à la Chine ont été multipliées par quinze en valeurs depuis le début du siècle. Mais, ce renforcement des relations commerciales s'est accompagné d'une grande asymétrie en faveur de la Chine qui exporte des produits manufacturés vers l'Amérique latine au moment où celle-ci n'exporte que des produits de base vers son partenaire asiatique. Dans le cas du Brésil trois produits de base, le minerai de fer, le pétrole et le soja, concentrent près de 75% du total des exportations vers la Chine. Les pays d'Amérique latine se font de plus en plus critiques envers ce qu'ils considèrent une relation de type néo-colonial et appellent la Chine à corriger la nature des rapports commerciaux en s'ouvrant à leurs exportations de produits manufacturés.
Les divergences entre les pays des BRICs concernent aussi les questions d'investissement et des entreprises. Ainsi, le Brésil, par exemple, reproche à la Chine la faiblesse de ses investissements qui n'ont pas dépassé entre 2007 et 2009 le faible seuil de 1% les mettant au même niveau que les Pays-Bas. Cette critique est d'autant plus importante que le Brésil qui doit accueillir la Coupe du Monde en 2014 et les Jeux Olympiques de 2016 a un important besoin de capitaux et d'investissements afin de construire l'infrastructure nécessaire à ses deux compétitions majeures. A ces critiques, il faut rajouter ce qu'on a appelé la guerre du fer entre la Chine et les trois grands groupes miniers les anglos-australiens Rio Tinto et BHP Billiton et le brésilien Vale qui concentrent près de 33% de la production mondiale. Or, la Chine, premier fabricant d'acier de la planète, reproche à ce groupe d'abuser de leur position dominante sur le marché international pour agir comme un cartel et imposer un doublement des prix du minerai.
Mais, la rupture la plus importante de ce front est liée à la compétitivité des exportations chinoises et à la question de la sous-évaluation du yuan. Certes, les autres pays ont pendant longtemps évité de s'attaquer à cette question et de rejoindre les pays développés et particulièrement les Etats-Unis qui ont multiplié les critiques vis-à-vis de la Chine soupçonnée de maintenir sa monnaie à un niveau bas pour donner un coup de pouce à ses exportations. Or, ces pays ont changé progressivement d'attitude et ont commencé à rallier la position des pays développés en lançant des critiques, certes encore timides, à la politique de change de Pékin. La faute aux exportations chinoises qui commencent à détrôner les leurs sur leurs marchés traditionnels comme c'est le cas pour le Brésil qui perd des parts de marché en Amérique latine en faveur de la Chine. Ainsi, Duvvuri Subbarao le gouverneur de la Reserve Bank of India, a estimé récemment que "si la Chine réévalue le yuan, cela aura un impact positif sur notre commerce extérieur". Sans citer nommément le yuan, il poursuit sur le même ton ferme en soulignant que "si certains pays dirigent leur taux de change et le maintiennent artificiellement bas, ce sont d'autres pays qui se retrouvent à supporter le fardeau des ajustements". Le Brésil n'en pense pas moins et le gouverneur de la Banque centrale, Henrique Meirelles, a également indiqué qu'un yuan est "absolument fondamental pour l'équilibre de l'économie mondiale". D'autres pays du Sud, comme l'Argentine, l'Inde, la Turquie, le Chili et la Corée du Sud, ont initié des enquêtes anti-dumping contre la Chine à l'OMC la soupçonnant de maintenir ses prix bas de manière artificielle.
Ainsi, l'alliance n'exclut pas les rivalités et les divergences entre les BRICs. Les divergences existent à différents niveaux des plus stratégiques aux questions économiques. Est-ce à dire que ces pays ne pourront jamais former une alliance capable d'imposer des changements majeurs dans la gouvernance globale? Pas si sûr car, en dépit de ces divergences, les BRICs ont su maintenir une forte convergence de vue. D'ailleurs tout le monde se rappelle ce qui s'est passé à Copenhague lors du sommet sur le changement climatique en décembre 2009, lorsque le président américain a pris un rendez-vous avec le premier ministre chinois Wen Jiabao pour sortir le sommet de l'impasse. Et, qu'elle ne fut la surprise de Barack lorsqu'il a découvert dans la salle de réunion que le premier ministre chinois était accompagné de ses homologues indien, sud-africain et brésilien. Un moyen pour la Chine de montrer aux Etats-Unis qu'elle tenait à cette alliance des pays du Sud. Et, à tous les niveaux, les responsables des différents pays mettent l'accent sur le caractère stratégique de cette alliance. Ainsi, l'ambassadeur Roberto Jaguaribe, qui était en charge de l'organisation du sommet de Brasilia des BRICs en avril 2010, a déclaré "il y a, bien sûr, des contradictions, voire des conflits entre les BRICs, notamment avec la Chine. Mais, pour l'instant l'émergence politique et économique de la Chine est un évènement positif. Nous voulons renforcer notre concertation pour promouvoir des idées communes, comme la réforme de la gouvernance mondiale".
Ainsi, en dépit des rivalités et des divergences, l'alliance des BRICs est en train de peser de plus en plus sur l'évolution du monde et pourrait se renforcer dans le futur.
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